On l’entend souvent dans le monde de l’éducation : « Laissons la liberté pédagogique aux professeurs. »
Parfois, l’utilisation d’un manuel, plus particulièrement d’un manuel commun à des classes de même niveau, est perçu d’un mauvais œil et comme mettant un frein à cette liberté. Il contraindrait les prises de précision du professeur et le respect de la « diversité des élèves » par son manque d’adaptation. Est-ce le cas ?
Qu’entendre par « liberté pédagogique », avant toute chose ?
La liberté pédagogique de l’enseignant s’exerce dans le respect des programmes et des instructions du ministre chargé de l’éducation nationale et dans le cadre du projet d’école ou d’établissement avec le conseil et sous le contrôle des membres des corps d’inspection.
Article L912-1-1
C’est-à-dire que l’enseignant est tenu de choisir tout le matériel nécessaire qu’il souhaite pour mener son cours à bien dans la mesure où la destination du cours respecte la progression et les objectifs généraux pédagogiques validés en amont par le Ministère de l’Éducation Nationale. Il n’est donc pas question d’une liberté totale, mais déjà encadrée.
“La liberté pédagogique n’est pas un privilège, ni une facilité, c’est au contraire une grande exigence, on doit savoir s’adapter en permanence à la diversité des élèves.”
Florie Cristofoli-Coulon sur France Culture
Le professeur choisit donc les outils à utiliser pour sa classe, les manuels, les documents audio, vidéo, visuel, etc. pour illustrer son cours et l’ordre dans lequel il les présente à ses élèves, entre autre. Parfois, aucun manuel n’est utilisé dans son plein potentiel ou n’est suivi et partagé physiquement avec les élèves.
Dans le monde du FLE, la méthode est la même pour tous les élèves et professeurs de l’école selon le niveau des classes et chacun doit la posséder, éventuellement en version numérique. C’est l’équipe pédagogique qui en décide et le même manuel peut être utilisé dans des réseaux de centres de langue comme les Alliances françaises le font généralement avec Alter Ego + et de plus en plus Cosmopolite en Chine à titre d’exemple.
Il semble pourtant très important et efficace que les classes de même niveau aient le même manuel au sein d’une même école, si ce n’est d’un réseau d’écoles. En dehors de l’importance de suivre un manuel de qualité, nous allons voir ici en quoi le posséder physiquement et le faire utiliser par ses élèves est prioritaire et n’empêche ni de s’adapter à la pluralité des élèves, ni de préparer un cours personnalisé.
1° Le manuel est créé par des professionnels de l’enseignement.
On peut ne pas être d’accord avec l’ensemble d’un manuel et ne pas l’utiliser dans sa totalité, ce qui arrive assez fréquemment, mais ce qui est assuré à minima c’est une certaine cohérence dans la progression d’une unité à l’autre et que ceux ou celui/celle qui l’a rédigé possède une expérience solide dans l’enseignement de la matière qui fait l’objet du manuel et a été validé par une maison d’édition.
On peut donc, dans une certaine mesure, avancer les yeux fermés avec sa classe au fil des pages et rectifier, lorsque le cas se présente, les manques, les petites imprécisions, les coquilles, ou adapter une leçon à un autre thème, ajouter ou préciser du vocabulaire, réaliser une expérience pratique par-dessus, etc.
Personne ne peut placer une année complète d’enseignement dans un seul livre, il est toujours attendu qu’un professeur ajoute un peu de contenu personnel dans son cours, ne serait-ce que d’autres questions pour les élèves, une plus longue précision d’un point de grammaire ou de mathématiques, d’autres exemples, des anecdotes personnelles. C’est par ailleurs pour faciliter ce travail d’agrément et de réutilisation des connaissances que nous proposons des créations pédagogiques dans notre boutique.

Support ludique destiné à l’enseignement des verbes pronominaux, par exemple (Cycle 2 – FLE A1)
2° L’avantage d’un support physique relié pour un élève
Il paraît difficile de trouver des avantages aux photocopies car rien n’est mieux qu’un livre relié pour étudier. Car si un professeur gage de bel et bien utiliser un manuel scolaire pour sa progression pédagogique, il peut parfois se contenter d’en photocopier seulement des pages au fur et à mesure.
Techniquement, comment assurer la progression logique de feuilles qui même avec la meilleure pagination manuelle du monde risquera certainement de s’éparpiller voire de se mélanger complètement si la pochette de photocopies venait à tomber au sol ou à être passer en revue par un autre utilisateur. On a plus vite fait de perdre ou de froisser une page volante au cours de sa manipulation que celle d’un livre, et la manipulation de photocopie est plus complexe pour les enfants.
Il m’est arrivé qu’un élève de 8 ans m’assure de ne pas posséder la photocopie du cours précédant – les élèves n’avaient pas de manuel – alors que la feuille en question était en fait cachée parmi d’autres en vrac dans une pochette qu’il ne parvenait pas à entretenir : nous avons perdu du temps et lui devait perdre de l’entrain dans son travail en classe et à la maison.
Légalement, acheter ou faire acheter un livre – quel qu’il soit – ne vous sera jamais reproché, bien au contraire. Vous pouvez le vendre par la suite, le prêter, l’emprunter : rien de cela ne pose problème tant que le matériel est respecté. Les photocopies en revanche « tuent le livre », et tout le monde le sait. Photocopier un manuel de cours pour assurer des économies nuit à l’économie général et au travail d’un autre secteur avec lequel les professeurs devraient pourtant tous se sentir proches : celui des auteurs et de l’édition. Le moins cher et le gratuit se retournent toujours contre nous et quelqu’un, forcément, paie pour le travail fourni.
Si des parents imaginent que payer pour un livre de cours est trop coûteux, c’est qu’ils ne réalisent pas les avantages sur la qualité de l’enseignement d’un livre, par dessus tout d’un livre dont on peut concrètement tourner les pages (les manuels numériques sont aussi à évincer : un livre au moins ne fonctionne pas à l’électricité). Ces adultes rechignent-ils autant à financer des livres ou des jeux qui ne sont pas scolaires à leurs enfants [ou pire, des cigarettes et de l’alcool] ? À nous de défendre son utilité qui, ne l’oublions pas, possède aussi des avantages pour eux : le réflexe de s’attendre à du tout gratuit parce que provenant de l’Éducation Nationale nous fait foncer dans le mur.
3° Réutiliser et conserver un manuel
Le support – à condition d’être respecté – pourra être réutilisé par un autre élève de l’année suivante ou lors de la prochaine session de cours, dans le cas de cours FLE, par exemple. Les familles et les élèves pourront l’acheter ou le vendre d’occasion et économiser quelques sous. À la maison, les parents ou les amis d’un élève pourront plus facilement s’intéresser aux exercices et leçons d’un livre que d’un tas de photocopies qui se peuvent pas se ranger dans une étagère (pensez-y). On chérit le livre avec lequel on a appris, même usé ou démodé, rarement un classeur qui ne possède même pas de page de couverture ou une belle tranche qui le distinguerait des autres d’un coup d’œil.

Livre de lecture du CP de 1995 dont je me souviens encore.
Les photocopies sont rarement en couleur pour limiter (ironiquement) les coûts de l’établissement qui rattrape la perte et on passe souvent à côté d’éléments importants des pages en se contentant du noir et blanc. Cela peut être des lettres en couleurs pour signifier les sons ou démarquer la conjugaison, la coloration de personnages ou de décors dont il faut faire la description, l’importance d’une phrases dans un texte, et j’en passe. Les couleurs attirent l’attention des élèves et rend le cours plus agréable, moins monotone.
Il existe aussi le problème de la conservation des photocopies de format A4 dans un cahier de format A5 comme on en voit souvent chez les écoliers de primaire. Même avec un grand cahier, on rencontre des difficultés d’entretien.

Cahier d’une élève de CE2 : on voit que le bord de la photocopie se décolle sur la droite
Proposer à des élèves de procéder comme cela va leur demander :
– d’utiliser plus de colles (on parlait des coûts élevés dans l’éducation, voila une économie à faire qui a aussi du sens sur le plan écologique) ;
– de manier cette colle : place aux doigts englués et aux prêts et demandes de colles qui n’en finissent plus ;
– de découper certaines photocopies qui ne rentrent pas telles quelles dans leur cahier ;
– de numéroter et d’annoter ces feuilles selon la matière et le jour lorsqu’en plus de ne pas avoir de livre pour chaque matière les élèves ont un seul cahier pour tout… Certains cahiers d’élèves ressemblent à des livres pop-up ;
– de faire une manipulation longue et fastidieuse à chaque relecture d’une leçon ou d’un exercice qui détériore à chaque fois un peu plus les photocopies ;
– d’ajouter une collection de pochettes plastiques et de classeurs pour chaque matière dans laquelle il y aura ces photocopies et augmentera la confusion et l’oubli du matériel scolaire en classe ou à la maison ;
– de perdre du temps à chaque distribution de photocopie et de créer des mouvements et du bruit supplémentaires. L’utilisation d’un manuel est plus silencieux et moins chronophage, ce qui est loin d’être négligeable quand on connaît les conditions actuelles de l’enseignement.
4° Changement de classe et de niveau
Si un établissement se met d’accord pour utiliser un livre unique pour tel ou tel niveau, un élève pourra, si cela s’avère nécessaire, aller dans une autre classe en cours d’année et poursuivre les mêmes leçons sans trop de difficultés. Le fait que cela soit possible pédagogiquement le rend possible techniquement : on n’hésitera pas autant à le faire.
Comme tous les manuels ne se valent pas et que leur méthodologie diffère, il est urgent de se mettre d’accord entre les personnes de l’équipe pédagogique pour n’en choisir qu’un afin d’éviter de créer des injustices entre les différentes classes d’un même niveau.
Le manuel scolaire laisse des traces visuelles et tactiles dans notre esprit d’écolier, d’élève et d’étudiant. C’est un relais concret que les parents comprennent et parviennent mieux à interpréter et qui donne davantage de crédit à notre travail. Il marque les souvenirs.
5° Pas de photocopie à donner aux absents
Encore un net avantage en faveur des livres : chaque élève possède le sien et n’a pas à courir après des photocopies en cas d’absence en plus de devoir rattraper et comprendre le contenu du cours manqué. Cela les responsabilise aussi puisqu’ils ont à en prendre soin et à éviter de l’oublier là où le faire pour des photocopies est seulement pénible.
6° Pensez à ceux qui vous remplacent !
Est-il plus facile et sympathique de dire que vous en êtes à telle page du manuel avec vos élèves à celui ou celle qui vous remplacera en cas d’absence et qui a des chances de connaître le manuel que vous utilisez, ou de lui envoyer une pléthore de documents qui ne se font pas suite par mél et qu’il ou elle devra interpréter, imprimer, photocopier et redistribuer dans le bon ordre ?
Ce qui se trouve sur nos ordinateurs peut par ailleurs se perdre, mal s’envoyer, être reçu en mauvaise qualité. Les données peuvent disparaître en passant d’un ordinateur à un autre, ordinateurs qui ne possèdent pas toujours des logiciels identiques qui lisent tous les formats de documents. La photocopieuse peut mal fonctionner le jour J, être difficile à comprendre, occupée par les autres professeurs, manquer d’encre, de papier…
J’ai déjà eu à remplacer au pied levé une enseignante dont les élèves ne possédaient qu’un livre de mathématiques physique pour leurs cours et qui n’était utilisé que rarement. Elle avait un manuel scolaire pour le français, qu’elle suivait bel et bien de son côté, et elle sélectionnait encore d’autres supports à côté en complément, parfois en substitut, parfois les mêmes mais remaniés ou qui accompagnaient le manuel, notamment des supports sur le PC du bureau dans la classe qui étaient complexes à retrouver et à utiliser. Je ne pouvais pas y avoir accès sans être physiquement dans la classe et on ne pouvait pas me les envoyer. Il n’y avait pas de livre pour l’anglais, ni pour les sciences ou l’histoire.
Cela a été une immense confusion de reprendre la suite de ses cours. La remplaçante après moi a été encore plus désemparée quand elle a appris qu’il n’y avait pas de manuel et notre travail en a énormément pâti.
Vraiment, quelle facilité il y a dans l’utilisation de livres ! Pourquoi réserver autant d’efforts pour complexifier l’enseignement, qui connaît déjà à côté de cela de grandes et réelles difficultés qui nécessitent et méritent bien plus notre attention et nos compétences ?
7° Last, but not least…
On peut toujours se reposer sur ce support fixe, ce manuel scolaire, connu et pré-pensé par d’autres professeurs, qui nous autorisera, la veille d’un cours, à écarter un petit moment le monde du travail de notre vie privée de professeur un jour de grosse fatigue, de maladie, de problème personnel, etc. Car nous n’avons pas toujours envie ou la force d’élaborer un cours la veille, de photocopier un manuel tôt le matin, d’improviser à partir de rien face à sa classe.
Avoir et utiliser un livre en classe est un soulagement et n’a rien à voir avec de la fainéantise, un manque d’expertise ou de créativité. D’autant plus que, si bien même, certains professeurs débutent et ont en effet besoin de références concrètes : en quoi est-ce un mal d’utiliser une méthode toute faite en attendant de développer ses propres ressources ? Utiliser une méthode ne peut-il jamais se faire autrement que le nez collé sur les pages et avec un ton monotone ? Bien sûr que si.
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Rien n’empêche un professeur de remplacer par un exercice différent un de ceux qui ne nous plaisent pas dans un manuel scolaire, d’en changer ou d’ajouter des exemples, d’apporter des explications supplémentaires à une leçon, d’y ajouter des jeux ou des supports amusants à sa suite, etc.
Un manuel défini ne prive donc pas de la liberté pédagogique et nul professeur ne devrait se sentir lésé ou chaperonné par l’usage d’un livre. L’enseignement brut laisse déjà toute sa place à votre talent d’enseignant, votre imagination, votre personnalité, votre humour et vos goûts.
On apprend mieux et on vit à travers des livres.
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