Aujourd’hui, je suis tombée sur un lien internet qui regroupait des livres pour enfants dits classiques, filmés et lus gratuitement, partagé dans le groupe d’un réseau social destiné à l’enseignement du FLE.
Parmi eux se trouvait un livre dont j’avais reçu la lecture étant petite fille et dont je me souvenais du protagoniste : Elmer, un éléphant multicolore très amusant.

Tout est parti de là.
Je me rappelais nettement de son aspect et d’avoir déjà entendu son histoire, sans me souvenir de quoi il parlait précisément, ni du cours de ses aventures. C’était là une bonne occasion pour cliquer sur la vidéo de sa lecture !
J’ai réalisé très vite que, comme l’apparence d’Elmer prête à le faire comprendre facilement aux yeux d’un adulte de nos jours, ce livre jeunesse amène à parler de la différence physique et laisse supposer à sa suite une potentielle leçon de tolérance à appliquer en société et en groupe, qui commence souvent par la classe pour des enfants scolarisés. La quatrième de couverture aborde effectivement ce complexe : « Elmer est différent des autres éléphants : il est bariolé et cette différence lui déplaît ».
Étant en parallèle en pleine lecture du livre de Jean-Jacques Rousseau, Émile ou de l’éducation, un point qu’il soulève et sur lequel je doutais jusqu’alors s’est révélé à ce moment-là tout à fait pertinent : il ne semble en réalité pas possible de raisonner avec des enfants.
Quel est le lien entre ce livre, l’enseignement et cette réflexion ?
En vérité, les discussions autour du livre Elmer à la suite de sa lecture, à savoir autour de la tolérance à la différence, ne m’ont pas marquée dans mon enfance et n’ont pas atteint leur but. Pas à ce moment-là, pas sur moi ou d’autres enfants, pas plus que ça ou pour peu de temps. C’eût été trop simple !
Les enfants ont un fonctionnement naturel qui les pousse à ne s’intéresser qu’à l’ici et au maintenant, et la leçon à tirer du livre par ce livre était trop éloignée de la réalité pour la comprendre pleinement. En effet, nous n’étions pas des éléphants, ni colorés comme notre héros, nos différences entre lui et les autres éléphants et les élèves entre eux n’étaient pas aussi exagérées. On peut se dire que nous étions trop jeunes encore pour comprendre, âgés de 6 à 7 ans, et nous sommes d’accord, mais les débats philosophiques et sociétaux sont introduits de plus en plus tôt sur les lieux d’apprentissage et se mêlent de plus en plus aux histoires pour enfants, remplaçant l’aventure et la magie par des mésaventures réalistes quotidiennes.
Si un enfant de 7 ans se mettait à dire « Non, je ne dois pas me moquer de ceux qui ne me ressemblent pas. » en se basant sur l’histoire d’Elmer ou d’un autre livre, le ferait-il parce qu’il en a assimilé la raison ou le ferait-il comme il réciterait une leçon apprise par cœur à l’école, tel un poème ou une table de multiplication ? N’aurait-il pas plutôt agi par peur qu’autrement faisant il se serait vu mis à l’écart à son tour ou sanctionné par l’autorité du moment, c’est-à-dire son professeur ?
« Avant l’âge de raison, l’on ne saurait avoir aucune idée des êtres moraux ni des relations sociales ; il faut donc éviter, autant qu’il se peut, d’employer des mots qui les expriment, de peur que l’enfant n’attache d’abord à ces mots de fausses idées qu’on ne saura point ou qu’on ne pourra plus détruire. »
J.J Rousseau, Émile ou De l’éducation.
Livre deuxième, page 121, éditions Flammarion, Paris, 2009
Je me suis posée la question de savoir s’il était bien la peine et pertinent de vouloir inclure de la philosophie, de la sociologie et de la morale dans des cours, de pousser à la réflexion les plus jeunes élèves dans le monde du FLE ou de l’éducation nationale.
Il y a deux réflexes de professeur et de parent à distinguer :
- celui d’utiliser un support pour enseigner une connaissance ou une habilité
- celui d’utiliser un support pour faire passer un message
À mes yeux, il est plus important de conserver coûte que coûte le premier réflexe et de se reposer sur celui-là bien avant le deuxième, fortement subjectif de surcroît. Si un message positif peut être tiré d’une activité scolaire, pourquoi pas, mais je crains qu’il ne soit systématiquement oublié une fois le pas de la porte passé par vos petits élèves. Ils se diront « Je me suis bien amusé ! », « J’ai appris un nouveau mot que je peux répéter ! », « Il est trop mignon cet éléphant. » etc. Et c’est là le principal : ils apprennent quelque chose d’utile et passent un agréable moment. En tant que professeur et adulte, nous nous disons que nous avons bien fait de proposer un contenu qui “fait réfléchir”, mais je partage l’avis de Rousseau en ce point : ils ne sauront pas comment réutiliser ces faits de raison ou questionnements qui restent avant tout ceux d’un adulte.
Livres destinés aux enfants aux thématiques sociétales, religieuses ou de “bien-être”.
On peut parler de beaucoup de choses avec un enfant, et je l’encourage fortement, mais une phrase répétée ou l’expression d’un sentiment immédiat n’est pas un signe de raison et il vaut mieux ne pas les confondre. Qui plus est, la classe n’est pas le lieu attendu pour cela et les discussions de groupe appellent à l’imitation, voire à l’intimidation, qui ne vous révéleront pas ce qui traverse réellement l’esprit de vos élèves / enfants.
Posez-vous aussi la question de savoir si ce sont les sujets traités plus que les images, de plus en plus belles et expressives, qui attirent l’enfant vers tel ou tel ouvrage et l’y font prêter attention. Est-ce le parent / professeur ou l’enfant qui y est sensible avant tout ? Plongez vous-mêmes dans vos souvenirs et voyez ce qui a forgé votre raison et si elle a trouvé ses fondements dans des œuvres pour enfants de façon immédiate et localisée ou bien avec le temps et l’expérience par un esprit avisé.
Votre séance de cours ne doit donc pas reposer sur de la philosophie, de la spiritualité ou la morale, que nous pourrions très mal enseigner et que les parents préfèrent délivrer eux-mêmes à leurs enfants si cela doit et peut être fait.
Coffrets et livres aux dessins séduisants possédant un objectif ludique et pédagogique à la fois.
Gardez en tête et en priorité l’efficacité concrète de votre cours selon votre premier objectif, qui est l’enseignement (du français, des mathématiques, de la science, du sport, etc). Laissez à la vie et à l’expérience propre de l’enfant l’enseignement qu’elles leur réservent naturellement.
– Maureen.
une très bonne reflexion, je lisais aussi Elmer à mes enfants quant ils étaient petits et je suis sûre que c’est la sensiblilité de l’enfant qui fait quìl puisse apprécier le sentiment de la différence, plus que l’explication de l’adulte. Ils rentrent à l’intérieur de ces petits personnages qui en fait sont comme eux.